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Malka Marcovich...enjeux internationaux
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14 mai 2009

Pékin en coulisses au Sri Lanka

Par JEAN-CLAUDE BUHRER
Publié dans Libération le 14- 5 - 2009

Il y a un an, c’était la Birmanie, frappée par le cyclone Nargis qui a laissé derrière lui 138 000 morts ou disparus ainsi que 2,4 millions de sinistrés. La junte militaire avait d’abord refusé l’entrée des secours aux victimes et ouvertement nargué l’ONU, n’hésitant pas à maintenir le 10 mai un référendum constitutionnel taillé sur mesure, en pleine catastrophe. Aujourd’hui, c’est le Sri Lanka, où 200 000 civils ont fui les combats ces derniers mois, tandis que 50 000 autres restent piégés entre deux feux et que 6 500 ont péri en trois mois. Pressé d’en finir avec les Tigres de libération de l’Eelam tamoul (LTTE), le gouvernement sri-lankais fait la sourde oreille aux appels bien tardifs au respect du droit humanitaire et poursuit son «offensive finale» à l’abri des regards indiscrets. L’ONU reste coite.

Comme les militaires birmans, le gouvernement nationaliste de Colombo ne pourrait défier impunément tout le monde sans soutiens extérieurs, à commencer par celui de la Chine. L’an dernier, la junte avait ignoré les appels de l’ONU et de la Ligue nationale pour la démocratie d’Aung San Suu Kyi de donner la priorité au sauvetage des victimes du cyclone.
L’impuissance de la communauté internationale est encore plus manifeste au Sri Lanka, qui n’a jamais été réprimandé et avait même réussi à se faire élire au Conseil des droits de l’homme. D’ailleurs, comme la Birmanie, Colombo peut compter au Conseil de sécurité sur le double veto de Pékin et de Moscou. En mai 2008 déjà, ces deux-là n’avaient rien voulu entendre du principe de «la responsabilité de protéger» reconnu lors du sommet de l’ONU en 2005 et qui aurait facilité l’acheminement des secours dans la Birmanie dévastée. La Chine et la Russie, appuyées par le Vietnam, la Turquie, la Libye et le Japon, se sont opposées, le 22 avril, à une «pause humanitaire» réclamée par les Occidentaux au Sri Lanka, estimant qu’il s’agissait d’une affaire interne et non d’une menace pour la sécurité internationale. Les mêmes raisons sont invoquées à propos du Tibet, de la Tchétchénie, du Zimbabwe, voire du Darfour. Il est vrai que les méthodes expéditives des Tigres tamouls, placés sur la liste des organisations terroristes par les Etats-Unis et l’Union européenne, expliquent aussi ces atermoiements, et que le gouvernement de Colombo a longtemps bénéficié de leur complaisance dans cette «sale guerre» qui a fait près de 70 000 morts en un quart de siècle. N’empêche que les civils paient un lourd tribut à l’indifférence de la communauté internationale.

Cette indifférence étonne d’autant plus que le Sri Lanka et la Birmanie suscitent bien des convoitises, ne serait-ce qu’en raison de leur position géostratégique : la grande île au sud du sous-continent en tant que point névralgique pour le contrôle maritime du commerce international dans l’océan Indien ; la seconde, à la charnière des mondes indien et chinois sur le golfe du Bengale. Ce double intérêt n’a pas échappé à Pékin, devenu le principal allié politique et militaire du régime birman sans cesser d’étendre son emprise économique chez son voisin du sud. En plus de barrages hydrauliques en construction, un projet de pipeline de la baie du Bengale au Yunnan devrait permettre à la Chine d’acheminer le pétrole du Moyen-Orient en évitant le détroit de Malacca.
La Chine a également renforcé sa présence au Sri Lanka, dont elle est devenue le principal donateur, afin de diversifier ses routes d’approvisionnement en provenance du Moyen-Orient et d’Afrique. Entre les détroits d’Ormuz et de Malacca, elle se dote méthodiquement d’un véritable chapelet de ports en eaux profondes, de la base navale de Gwadar au Pakistan à Hambantota au Sri Lanka, et de Chittagong au Bangladesh à Sittwe en Birmanie. A Hambantota, Pékin a investi un milliard de dollars dans la construction d’un grand centre logistique de transbordement maritime. Outre l’aide financière et un appui politique «inconditionnel», la Chine a largement contribué à l’effort de guerre de Colombo et au basculement du rapport de forces sur le terrain… à peine les Etats-Unis avaient-ils suspendu leur coopération militaire en raison de la constante dégradation des droits de l’homme sur l’île. Illustrant ce rapprochement, le président Mahinda Rajapaksa était reçu par son homologue Hu Jintao en février à Pékin, puis en mars, ce fut au tour de son frère et ministre de la Défense Gotabhaya de remercier la Chine de son
«soutien résolu dans le renforcement de la lutte contre le terrorisme».

Traditionnellement proche du Sri Lanka par la géographie et la culture, l’Inde se tient en retrait depuis le désastre de son opération de maintien de la paix (1987-1990) et surtout l’assassinat en 1991 du Premier ministre Rajiv Gandhi lors d’un attentat suicide des Tigres tamouls. Alors que Pékin en a profité pour avancer ses pions, Colombo a également trouvé des accommodements avec le groupe islamique et divers pays liberticides, chacun se renvoyant l’ascenseur. Autre souci pour New Delhi, des pays comme l’Iran, l’Arabie Saoudite ou la Malaisie sont entrés en compétition dans l’île avec la compagnie pétrolière indienne. Sans oublier le Pakistan, qui avec les encouragements de Pékin approvisionne largement le Sri Lanka en armes chinoises de petit calibre et fournit un entraînement militaire à ses forces aériennes. «Le problème des Tamouls, confiait à des journalistes l’ambassadeur du Pakistan auprès de l’ONU à Genève,
c’est de ne pas être musulmans.»

Reste à savoir comment sortir de cette double impasse. En tout cas, ce n’est pas par les armes que le problème tamoul sera résolu au Sri Lanka, pas plus que l’implacable dictature militaire n’a réglé celui des minorités ethniques en Birmanie. A des degrés divers, ces crises récurrentes plongent leurs racines dans l’époque coloniale quand l’empire britannique avait favorisé des minorités comme les Tamouls à Ceylan et les Karens, ou d’autres encore, en Birmanie. Depuis, certaines ont pu se sentir victimes de discriminations à leur tour, jusqu’à prendre les armes - ce qui fut le cas des Tamouls sri-lankais et des Karens toujours en rébellion en Birmanie. Même si le LTTE était militairement défait, il faudra bien trouver une solution politique pour tenir compte des aspirations des Tamouls au Sri Lanka. Encore faudrait-il qu’il y ait volonté politique.

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Commentaires
G
C'est éclairant. Merci. Seule, sa conclusion me semble bien optimiste. A en juger par d'autres précédents, il n'y a aucune raison pour que l'on trouve une solution politique.<br /> Greta
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